Une peinture miroitante
Une peinture miroitante avec une confusion entre les plans. Des toiles liquides, feuillues, dénuées de la profondeur invitant au voyage, mais plutôt à une rencontre avec des êtres indicibles. Vie obscure abritée par la terre et ses plantes. Toiles muettes. « Je me tiens à distance de tous ces crépuscules et je les écoute comme un bruit d'eau sur les feuilles. C'est un travail patient et humble, très profond. »

Christiane Parrat.
Sous le signe de la mélancolie
Une peinture sous le signe de la mélancolie, ambrée et chaude, comme le bitume matière principale de ces toiles. Une expression de quelque chose qui aurait pu être source de vie : le végétal, les corps alanguis vers un hypothétique élan de désir, tournés vers l'intérieur, attachés à des ailleurs… Sous les couches successives des traces effacées apparaissent, donnant à ses peintures des allures de palimpsestes habités de quelques « repentirs ».Un univers contrasté où le sombre révèle le délicat.
Dans l'atelier
Voici EkAT, la peintre. Je la regarde évoluer dans l’atelier. Je n’existe plus, assise, oubliée. Elle prend un pinceau, l’immerge dans un pot et le sort rempli d’une couleur terre, plus soutenue, brun Van Dick. Elle s’approche de la toile et avec un geste direct, met sa couleur sur la surface. Un va et vient frénétique élabore, trace et le pinceau nuance. Cette matière épaisse, chargée, s’allège, devient tantôt transparente, tantôt rugueuse, forme des îlots. Une géographie terrienne s’empare des volumes. Les formes commencent à surgir. Elle choisit un autre pinceau très court et large, elle va à un autre pot, cette fois c’est une couleur  vert émeraude et luisante. Le liquide est jeté à grands gestes sur le plan qui contenait déjà du bleu. La superposition sera raclée, forcée à devenir texture. Que signifie cette cérémonie ? Le corps se courbe, s’élance, s’aplatit. Est-ce la couleur qui dicte sa chorégraphie ? Dans le silence, le bruit de chaque geste se fait sentir. La peintre prend un curieux instrument et dans un tout petit morceau, fait passer et repasser son outil une vingtaine de minutes durant. Elle incruste la même surface, épile, arrache. De minuscules boutons, des cratères surgissent qui scintillent… En prenant un torchon, elle vient vers moi, ouvre un tiroir et en sort une grande boîte en fer, où se trouvent des figurines de toile noire, encrées, et de minuscules portraits encadrés de vieux bois. Elle me présente le profil de son grand-père, photographe dans sa jeunesse et qui deviendra aveugle à la suite d’un accident. Ainsi que le portrait de sa grand-mère, qui volait pour elle des anges dans les cimetières… Toutes ces choses aimées sont enveloppées dans des papiers jaunis, des petits souliers d’enfants, peints en doré…  Ce sont des objets qu’elle thésaurise depuis l’enfance. Le temps de sa peinture avait donc commencé là. Il s’est accentué pour transformer son caractère, son paysage intérieur. Celui-ci cristallise dans l’amalgame de sa mémoire sensorielle, là où chaque perception trouve sa place, en créant un univers esthétique et sensible.

Tiphaine Stepffer, 2006. 
Née en 1964, vit et travaille à Montreuil.

Après des études aux Beaux-Arts de Paris, elle travaille principalement comme peintre pour le cinéma et le théâtre.

Parallèlement, elle poursuit sa recherche personnelle et produit de nombreuses toiles.

C’est la rencontre avec la galerie Figure, rue de Seine à Paris, qui la poussera à exposer durant plusieurs années.
Ce sont des femmes au ralenti...
Ce sont des femmes au ralenti qui s'échappent doucement du tableau. Le manteau fleuri de la mélancolie, aux tons chatoyants, denses et profonds, glisse de leurs épaules délicates. Chacune possède la grâce d'une sphinge exsangue et érotisée par une vie végétale nimbée de mystère ; un paradis perdu. Ces personnages cristallins portent une fêlure au cœur de leur sensualité. Par couches ou par palimpseste, des êtres silencieux, parfois noyés dans le feuillage, tentent de dévoiler leur histoire avec un geste à peine esquissé, une attitude nonchalante et pudique ; l'absence d'un regard. Il y a des douleurs palpables aussi, des forces internes, une inertie suggérée que le travail des couleurs accroît par la puissance du contraste : vert, brun rouillé, blanc bleuté, eau saumâtre, lie-de-vin, lumière du bitume comme une bile noire, révèlent l'évanescent et le repli, l'échappée lente d'une fragilité sombre, un univers qui chemine vers le blanc comme un bateau dans la nuit. 

Léon Mazzella di Bosco, 2010.